Destin d'un blender :
histoire tragique de notre temps
Notre envoyée spéciale a testé le Repair Café pour le « Presse-papier ».
 

       Munie de mes sésames des temps de pandémie (autorisation préfectorale, invitation du président du Repair Café de Tours, attestation de déplacement dérogatoire et carte d’identité) et de mon vieux et fidèle Blender agonisant, je suis accueillie dans les locaux de la Maison de la Solidarité de Tours Nord. Le protocole s’applique : distanciation physique, désinfection des mains, signature du registre et pesée du blender à des fins statistiques. Le Repair Café établit en effet des statistiques sur la quantité de matière qui ne sera pas jetée et restera utile. Sur 1,8 tonne de « candidats-déchets » traités, 50 à 60 % sont réparés. Cela correspond à six cents à sept cents objets : télévisions, fours, cafetières, grille-pain... Bien sûr, depuis le Covid, le Repair Café ne fonctionne qu’à moitié.
           
       Pendant que j’attends mon tour, j’ai le temps d’observer les « makers¹» qui s’affairent : deux écrans plats de taille impressionnante sont ouverts, tous composants à l’air, et scrutés chacun par des bénévoles.

Paroles entendues

On s’affaire, on communique, on partage des informations et des questions, c’est la ruche !

« Là, c’est les relais, il y a 12 volts. »

« C’est plutôt une photo diode, là-dessus. »

« Quand tu branches, il y a une tension ? Les voyants, ils s’allument ? »

« Ouais, pour la tireuse à bière, c’est de première nécessité ! »

       Nous faisons appel aux lecteurs du « Presse-papier » pour les explications techniques.

Les femmes à l’accueil,
les hommes au multimètre !

       Autour des tables de réparation, munis d’outils, les hommes de tous âges, à l’accueil, à la couture, des femmes qui lors du précédent confinement ont organisé des ateliers de confection de masques.
       Cette répartition est très "genrée", mais petit à petit cela devrait changer, car de plus en plus de filles réparent leur téléphone ou leur ordinateur.

L’esprit des Repair café

       Il y en a de nombreux en France, ils ne sont pas situés dans un lieu précis mais se déplacent, celui de Tours intervient dans tout le département et pourquoi pas au collège après la Covid. Leur fonction est de lutter contre l’obsolescence programmée en réparant des objets qui, sinon, iraient s’ajouter à la masse des déchets que nos sociétés de consommation produisent sans limite. « Parfois, il suffit de changer une diode à 15 centimes pour réparer un écran plat », me confie un bénévole. Chaque événement demande la mobilisation d’une trentaine de bénévoles, prend en charge quatre vingts objets et reçoit jusqu’à 140 visiteurs, venus souvent en famille.
       Normalement la convivialité est la norme et on boit le café ensemble, le savoir est partagé et ceux qui réparent enseignent aux visiteurs.
       « C’est un gros travail d’organisation, un événement, c’est trois semaines de préparation, dix jours de gestion des inscriptions et d’organisation des plannings », me précise une bénévole.
       « Nous avons de nombreux partenaires, des mairies, des associations, la Maison de la Solidarité. » ajoute-t-elle, mais « ce à quoi nous tenons, c’est la convivialité »

Salle d’op’

       C’est mon tour. Antoine Després, le président du Repair Cafe va opérer mon blender, vieux compagnon de gourmandise (vingt-cinq ans, déjà), capable de réduire en poudre des kilos de noisettes. Hélas la confection du dernier Creusois² semble l’avoir sérieusement affaibli.

       L’appareil est désinfecté, (protocole Covid), ouvert, il montre ses circuits, son moteur : mais pas moyen de démonter plus avant, les cartes électroniques sont collées et le moteur inaccessible. Plusieurs composants ont noirci, le moteur, trop sollicité, a dû chauffer et faire « cuire » les diodes et composants. RIP, le blender, «Obsolescence programmée» soupire Antoine en guise d’oraison funèbre.

Épilogue

       Désormais, soit j’achète un blender réparable, soit je casse les noisettes au marteau puis je les réduis en poudre au moulin à légumes.

HD     

1 Mot anglais : désigne les bricoleurs, inventeurs ou réparateurs.
2 Gâteau nourrissant, spécialité de la Creuse, dont l’ingrédient principal est la poudre de noisettes
.

Le coin-coin du linguiste

    Un blender (en anglais, un "mélangeur") est un genre de mixer, ou mixeur – en anglais, un,... ben... un mélangeur ! Blender est in, alors que mixer est has-been. Dans cinq ans, blender sera out, et le must sera de dire stirrer, merger, mingler, ou un autre nom en –er. De toute façon, on aura remplacé les smoothies (qui ont supplanté les milk-shakes) par une autre mode et un autre mot.
    Boris Vian aurait appelé ça une tourniquette à broyer les noisettes.

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© Le Presse-papier & Collège Philippe de Commynes (Tours) 2020

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